Un mois s’est écoulé depuis le scandale. Les journalistes et les commentateurs du net prévoyaient la foudre pour la classe politique française. L’histoire a écorné un peu plus l’image de la France à l’étranger, mais pas au point de rechigner à appuyer une candidature française pour remplacer Strauss-Kahn à la tête du FMI. Christine Lagarde, officieusement adoubée par tous les pays industrialisés, a en effet toutes ses chances.
Certains commentateurs ont hâtivement spéculé sur un effet "lutte des classes". Dommage de galvauder une expression si chargée historiquement. La lutte des classes, c’est la conscience de son exploitation par une majorité populaire affamée et son organisation pour renverser le régime de propriétaires capitalistes. Je me suis déjà exprimé, comme tant d’autres, sur les raisons pour lesquelles une Révolution n’est pas actuellement envisageable en France.
Le bras de fer perdu durant la réforme des retraites l’a très bien illustré ; un échec qui incita même un Besancenot découragé, résigné face au manque de convictions révolutionnaires et de moyens des relais syndicaux, à anticiper sa propre retraite politique. "Bougez avec la poste !" Les enquêtes prouvent que l’histoire DSK a eu bien plus de retentissement médiatique que de répercussions sur l’électorat. Ni antagonisme ravivé entre les "puissants" et les "humbles" débouchant sur un "tous pourris" favorable au FN, ni report sur la valeur-refuge présidentielle en attente d’un heureux évènement (ou d’une calamité supplémentaire aux yeux des détracteurs de Sarko). Une inertie qui s’explique par au moins quatre facteurs.
D’abord, la stupeur et l’incrédulité. Rares sont ceux qui croient en ce fâcheux concours de circonstance d’un ex-futur favori à la présidentielle qui, chahuté sur son train de vie somptuaire, clôt sa semaine éprouvante en donnant magistralement raison à ses adversaires et en parachevant son oeuvre d’hédonisme irresponsable par le viol d’une maid. Personnellement, j’ai encore la "fellation forcée" en travers de la gorge. Que voulez-vous, il y a des choses qu’on a du mal à avaler. Certains agendas et plans nous échappent.
Mais gare aux langues déliées ! Selon le dogme Américain, douter des versions officielles US c’est être déjà "complotiste". Nos dirigeants l’ont bien compris, eux dont le cartésianisme s’est effacé docilement devant certaines raisons supranationales. Je m’entends encore en début d’année, m’entretenir avec un ami : "Quand vont-ils ressortir du placard la marionnette Ben Laden et mettre en scène sa mort ?" La réponse n’a pas tardé. Début mai, fin officielle du leader d’Al-Qaïda. Le gars n’a rien pu faire, attaqué par un service encore plus diligent qu’UPS ou Chronopost : découverte, exécution, disparition, tout cela dans la foulée. Ca ne traîne pas chez les SEALs. Chez eux, on bosse en flux hyper-tendus. Que les frustrés qui attendaient un procès se rassurent, il leur reste celui du Perv.
Autre enseignement. Les gens, bien que perfusés d’informations et de buzz, ne sont pas aussi influençables que d’aucuns l’affirment. Une majorité de français évite l’amalgame : DSK n’est pas représentatif de l’ensemble de la classe politique, ce n’est qu’un "K" particulier. Pour les sympathisants et militants socialistes, sa mise en accusation ressortit d’un fait privé et n’empêchera ni la conduite des primaires du parti, ni une conquête élyséenne désirée comme rarement par le peuple de gauche.
Troisièmement, la désillusion française constitue ici un rempart. Les français sont tellement coutumiers des scandales, qu’un de plus ou de moins n’altérera pas en profondeur leur perception des "puissants". Non seulement ils s’y sont habitués, mais ils ont même tendance, dans une transposition du syndrome de Stockholm, à s’attacher sympathiquement aux escrocs jusqu’à les réélire. Le principal nœud dans le lien présent entre DSK et ses compatriotes, c’est l’incertitude. Qu’elle se lève et il passera soit pour un martyre, soit pour un criminel de grande envergure. Dans tous les cas, sa victoire sur l’indifférence est assurée ; l’Histoire ne sera pas prête de l’oublier.
Ultimement, il ne faut pas sous-estimer le mécontentement des citoyens à l’encontre de l’action présidentielle. A ce titre, pour une majorité d’électeurs socialistes, le sort de DSK importe bien moins que l’objectif de 2012 : le candidat social-libéral, certes susceptible de moderniser le PS, était un moyen pour renverser le souverain républicain avant d’être une fin en soi. Que la détestation de Sarkozy l’emporte ici sur l’affection envers l’ancien directeur général du FMI ne procède pas tant d’une bulle médiatique ou d’un problème conjoncturel d‘"image", que d’une désapprobation de fond.
Pour la foule vindicative, dix affaires successives de mœurs qui frapperaient le PS, ne lui feraient pas plus oublier les motifs de son courroux que sa fièvre de changement. Le politicien est versatile, mais jamais autant que l’électeur. Tel qui a encensé Sarkozy hier, le déteste aujourd’hui et … le louera peut-être demain, se repentant trois fois comme Pierre. A moins d’un an du scrutin présidentiel, bien malin qui pourrait le dire.
L’impact social surestimé de cet évènement serait-il donc nul ? Pas sûr. Car si certaines associations partisanes se sont gardées d’ameuter la populace, d’autres ont saisi l’occasion pour ranimer la brûlante pertinence de leurs combats. Ainsi, les féministes et antiracistes se sont fait bien plus entendre que les mouvements de contestation politique, rappelant qu’à présent les contre-pouvoirs populaires les plus éloquents, après les antinucléaires, sont à chercher parmi les groupes d’influence sociétaux et anthropologiques à vocation humaniste.
La discrimination sexuelle et ethnique réveille les pulsions libido-insurrectionnelles. Celle économique, nettement moins romantique, trop vulgaire et prosaïque, agace tout au plus. Vérification faite à Manhattan, avec ce cortège improbable digne de l’Apprenti Sorcier, ce ballet du balais devant le palais. Admirez le tableau : un car entier de femmes de chambre en tenue de travail, venues pour conspuer l’affreux agresseur aux cris de "Shame on you ! Shame on you !" ("honte à toi", pour les réfractaires à la langue de Shakespeare). Parallèlement, les cris des Indignés espagnols et français se raréfient et leurs revendications s’éteignent avant même les feux de la Saint-Jean. Certains mouvements n’ont plus la cote. Les temps changent.
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