lundi 16 juin 2014

QUAND SORAL VEUT ÊTRE CALIFE A LA PLACE DU CALIFE

La première émission d'ERTV, une interview live du président d'Egalité et Réconciliation, Alain Soral, fut une synthèse dans son genre, pour reprendre le mot d'Audiard...

Côté décorum, pas de souci pour les aficionados, toujours même dominante rouge, pas sur le canapé mais sur le polo cette fois (ça fait un poil plus snob que le t-shirt et un peu plus sportif ; ce qui n'empêche que vous avez pris de la bedaine, président ; comment ça faut pas le dire crétin ? A vos ordres chef !). A noter que depuis plusieurs mois, Soral semble très attiré par le rouge et ses symboles mitoyens : polo rouge ici, couverture rouge du livre avec la personnalité de gauche Eric Naulleau en fin d'année dernière, mise en avant de plus en plus prononcée du philosophe cher à une partie de l'extrême-gauche, Michel Clouscard, dans ses conseils de lecture, commentaires d'actualité, et même sur l'image de fond du site ER où son portrait photographique en milieu de page est plus grand que celui de De Gaulle, éloge du socialisme de "troisième voie" de Sorel (terme quasi homonyme avec "Soral"), et aujourd'hui relativisation de la dictature nord-coréenne. Chercherait-il à faire oublier sa période "mystico-barressienne" et "catholique néo-traditionnaliste", pour estomper sa réputation d'agitateur d'extrême-droite, et cela opportunément avant le verdict de ses procès ?

Toujours est-il que Soral se lâche durant 2 heures et nous livre un florilège de ses convictions profondes. Comme lors de ses précédentes "vidéos mensuelles" ("trimestrielles" serait à présent plus exact), il y affirme vouloir éviter de nouveaux jugements. Pas fou. On pariera pourtant, à l'écouter parler de Fourest et de quelques autres, que la liste de ses procès ne manquera pas de s'allonger. Mais ce qui m'intéresse, ce sont les contradictions de plus en plus évidentes de sa ligne. Voici deux points qui ont particulièrement retenu mon attention :

1) 1:26:40. Après avoir craché sur le principe même de la banque, Soral se lance dans une palinodie qui ferait se pâmer tous les "Dr Jekyll et Mister Hyde" de la politique et autres Jérôme Cahuzac. Il réfléchit en effet aux moyens de mettre en place un système bancaire parallèle. Tout en avouant que, du moins au départ (?), il serait nécessaire de créer une banque, à l'image des autres. Quel grand écart ! La banque de l'équipe Soral, ce serait, si l'on se souvient de la dichotomie ironique des Inconnus, une sorte de bon chasseur, contre le mauvais chasseur incarné par toute autre banquier "non dissident". On imagine avec amusement l'argumentaire de vente : "Vous êtes dissident ? Vous n'avez plus envie de cautionner le système bancaire, ses sbires, ses traîtres et ses catins ? Rejoignez la vraie dissidence bancaire ! Chez nous, l'usure est également pratiquée, les placements rémunérés aux mêmes taux qu'ailleurs, mais ce n'est pas pareil car nous sommes une bonne banque, avec des vrais morceaux de dissidents 100% français antisionistes dedans !"

Pas sérieux. Le principe de réalité qui lui est si cher, le rattrapera et il sera obligé, comme les autres, de pratiquer le prêt à intérêt, autrement sa "banque" (ou son substitut d'un autre nom) s'effondrera. En outre, ses hésitations à répondre à la question de l'intervieweur prouvent d'ores et déjà son embarras. Comment faire avaler cette (énorme) pilule à ceux qui lui font encore confiance ? La manière, il l'ignore encore, mais il aime son indépendance économique, quitte à insister lourdement sur son parcours de mec libre mais pas du tout individualiste, très collectiviste au contraire (Soral nous gratifie dans sa vidéo d'une anaphore, "improvisée" bien sûr, basée sur le "nous", réponse au "moi" de Hollande). Il l'aime autant qu'il déteste la discrimination et le communautarisme. Conjuguer le sectarisme d'une banque qui se tient délibérément à l'écart des autres (chez nous, on ne mélange pas les torchons et les serviettes !), avec les discours universalistes, nationalistes et anti-communautaristes, va exiger de lui une adresse qu'il n'est pas encore sûr de posséder... 

2) Sa fantasmatique et sa verve mises en ébullition par près de deux heures de monologue (comme d'hab'), débordent sur une confidence bien mousseuse, que dis-je une confidence, une bombe dont la sincérité m'a scotché lorsque j'ai compris qu'il ne s'agissait pas d'une forfanterie. A 1:48:42, Soral donnant son opinion sur les jeux de hasard qui le "dégoûtent", nous jure que "quand je prendrais le pouvoir, car je finirais par le prendre un jour, je remettrais tout ça bien en place". Qu'il tente ou non un rétropédalage ultérieur, comme au sujet du financement de la liste antisioniste en 2009, le message à destination du gouvernement et surtout de ses fans est passé. Soral se rêve dictateur, ou du moins un "Poutine à la française" comme le titrait il y a quelques mois le site internet de son association. C'est beau de rêver... Cependant, et sans même rire de vos délires de grandeur, on peut légitimement s'interroger derechef sur votre cohérence, Mr Soral. Vous vous disiez républicain, démocrate, défenseur de la souveraineté nationale et populaire, et dorénavant vous ne voulez plus demander son avis au peuple, mais directement prendre le pouvoir. Et comment vous y prendriez-vous ? En organisant un coup d'Etat ? Et ensuite, en vous faisant plébisciter dans le césarisme, ou bien plus simplement en décrétant autoritairement qu'une majorité de Français vous a choisi (et tant pis pour la vérité dont vous vous prétendez le chantre) ? Tout cela est évidemment une impasse, et soit Soral a le cerveau en surchauffe, soit il espère abuser de la crédulité de certains. Ah ! elle est belle cette "dissidence"...